Pourquoi l’Europe investit un milliard d’euros dans les technologies quantiques ?

Posté le 5 décembre 2018 par PierreB

Souvent méconnues du grand public, les technologies quantiques sont plus que jamais au coeur des travaux de la communauté scientifique. Étroitement liée à la course à l’intelligence artificielle, la recherche quantique fait l’objet d’un intérêt croissant auprès des gouvernements des puissances économiques mondiales. Comme mentionné dans un précédent article, les technologies quantiques font grandement partie des technologies émergentes de demain porteurs d’enjeux stratégiques forts. Dans ce contexte, l’Union européenne a annoncé le mois dernier le financement de la recherche des technologies quantiques, d’un montant d’un milliard d’euros réparti en 10 ans et parmi 20 projets ambitieux issus de l’initiative Quantum Technologies. Une chose semble se confirmer : la seconde révolution quantique est en route.

Qu’est-ce que les technologies quantiques ?

Les technologies quantiques ont bouleversé notre perception de la nature et ont posé des bases physiques qui ont déjà permis des évolutions révolutionnaires telles que les puces informatiques, le laser, l’IRM ou encore le GPS. Les technologies quantiques sont donc étroitement liées à la mécanique quantique, branche de la physique quantique. Discipline complexe, la physique quantique est née de la rupture avec la physique classique regroupant par définition les théories et principes physiques connus au 19e siècle. Les théories quantiques vont alors émerger et vont décrire les comportements des atomes et des particules, chose que la physique classique ne pouvait faire auparavant. On passe les détails trop scientifiques de la physique quantique et des propriétés de rayonnement électromagnétique sur lesquels elle repose, et on va directement poursuivre avec l’apparition de la mécanique quantique et de la l’informatique quantique.

L’informatique quantique, une branche de la mécanique quantique

L’informatique quantique est une branche de l’informatique, mais plus précisément une branche de la mécanique quantique, elle-même sous-partie de la physique quantique. Contrairement au système informatique classique qui fonctionne en « bits » avec des suites de 0 et de 1 pour effectuer le traitement de ses opérations, un système quantitique lui va fonctionner différemment. Chaque bit peut être soit un 0, soit un 1, soit un 0 et un 1 en même temps. Ainsi, on dit que les ordinateurs quantiques fonctionnent selon un nombre de « qubits », l’équivalent quantique du « bit ». Pour faire simple, un qubit est une superposition de plusieurs états dans la même variable. Tant que cette variable n’a pas de valeur définitive, elle aura toutes les valeurs à la fois ! Ce qui est en parfaite contradiction avec un ordinateur classique, qui lui utilise des bits qui ne peuvent être que soit 0 ou 1. L’ordinateur classique fonctionnant ainsi, il reste donc très limité lorsqu’il s’agit de réaliser des opérations très complexes pouvant prendre plusieurs jours à être traitées. L’ordinateur quantique lui peut traiter ces mêmes opérations complexes en quelques secondes seulement ! La capacité de calcul d’un système informatique quantitique est donc largement décuplée.

Bref historique de l’apparition de l’informatique quantique

  • En 1965, le physicien Richard Feynman reçoit le prix Nobel de physique pour ses travaux en électrodynamique quantique. Ne proposant aucune application concrète, les travaux de Feynman n’attirent pas vraiment l’attention à l’époque.
  • En 1974, les Américains Arieh Aviram d’IBM et Mark Ratner professeur de physique de l’Université de Northwestern propose l’utilisation de molécule organique afin de fabriquer des transistors (l’un des composants phares du processeur d’un ordinateur).
  • 20 ans plus tard, Peter Shor, mathématicien au MIT, développe un algorithme quantique capable de factoriser de très grand nombre.
  • Finalement, c’est en 1998 que fut développé le premier véritable ordinateur quantique de 2 Qubits. Cet ordinateur a été capable de retrouver une donnée parmi 4 données en une seule étape de calcul, ce qui est un exploit même encore aujourd’hui.
  • L’année suivante, c’est un système informatique quantique à 3 Qubits qui fait son apparition, capable de faire le même calcul, mais avec 8 données différentes.
  • En 2001, les chercheurs parviennent à développer un système quantique de la taille d’un grain de sable qui aurait eu la même vitesse de calcul qu’une centaine de processeurs d’ordinateur classique.
  • Mais il faudra attendre 2009 à l’université de Yale aux États-Unis, pour réellement voir apparaître le premier processeur quantique véritablement stable et fiable. Il disposait à l’époque de 2 Qubits.
  • Après cette date se produit une suite d’évènements logiques avec des grands noms tels que IBM, Google ou encore la NASA, particulièrement très actifs sur la recherche informatique quantique. Ces acteurs continuent de progresser en ce sens, avec des machines toujours plus puissantes en Qubits.

Le principe de la superposition quantique

Le principe de la superposition quantique est une technologie quantique qui a fait et qui fait encore beaucoup parler d’elle. En faite, le monde est composé de façon à ce qu’un objet peut exister dans plusieurs états distincts. Grâce à la superposition quantique, il est à priori possible de placer cet objet dans plusieurs de ces états simultanément. On dit alors que l’objet est dans une superposition quantique d’états. Prenons un exemple : l’illustration ci-dessous montre une boule pouvant être soit à l’extérieur d’une boite, soit à l’intérieur, soit dans une superposition quantique des deux états à la fois. Les technologies quantiques sont justement basées sur ce genre de superpositions d’états, dans les atomes, les ions, les photons, les particules avec spins (champs magnétiques de la particule), ou même certains circuits électriques.

Le principe de l’intrication quantique

Ce principe découle de la superposition quantique. En fait, le principe de superpositon à un système composé de plusieurs objets pouvant chacun se trouver dans plusieurs états possibles, peut aboutir à des états quantiques très étranges appelés alors états intriqués. Ci l’on prend l’exemple ci-dessous, le système est composé d’une boule bleue et d’une boule rouge pouvant chacune être à l’extérieur (0) ou à l’intérieur (1) de la boite. L’état de superposition où les boules sont à la fois toutes les deux à l’extérieur et la fois toutes les deux à l’intérieur est un état difficile à représenter. Il est à la fois très indéterminé (chacune des boules peut être trouvée à l’intérieur ou à l’extérieur, mais à la fois très déterminée car les boules sont à coup sûr au même endroit. Ce genre d’état intriqué est une ressource très utilisée dans les technologies quantiques.

Les technologies quantiques et leurs ambitions

Vous l’aurez compris les technologies quantiques ont une capacité de calcul décuplée ce qui va permettre d’améliorer les performances dans de nombreux champs d’action. C’est pour ceci que nous sommes à l’aube d’une nouvelle révolution quantique. Même si il reste encore beaucoup de travaux à accomplir en ce sens, les chercheurs s’accordent à dire que l’ordinateur quantique est en voie de transformer radicalement certains domaines :

  • L’intelligence artificielle et le machine learning : capacité à traiter des données en un temps record
  • La sécurité informatique : capacité de cryptographie avec des lois de physiques inviolables (sécurité absolue donc, même dans le domaine des communications).
  • La prédiction météorologique : calculs de probabilité à grande échelle
  • La création de nouveaux médicaments : capacité à tester les combinaisons optimales de molécules pour lutter contre un virus
  • Optimisation du flux du trafic routier : capacité à analyser les prévisions de points de congestion et les fluidifier avant qu’ils ne se forment

L’Europe investit un milliard d’euros pour l’initiative Quantum Technologies

Le CNRS explique que l’intiative Quantum Technologies a pour objectif de « développer les applications de technologies quantiques dans les domaines de la mesure, du calcul, de la simulation ainsi que du traitement et de la communication de l’information, en renforçant les partenariats entre recherche et industrie ». Plus précisément, voici les quatre piliers sur lesquels repose cette recherche :

  • Communication quantique : distribuer des clés de chiffrement ayant une preuve de sécurité absolue
  • Calcul quantique : dépasser les limites des supercalculateurs classiques et inventer l’ordinateur de demain
  • Simulation quantique : découverte de nouveaux médicaments, engrais, ou matériaux innovants pour le transport de l’énergie
  • Métrologie et capteurs quantiques : prospection des ressources minières et pétrolières ou analyse de la structure de molécule unique avec de nombreuses applications dans le domaine de la santé ou des communications

20 projets ont donc été sélectionnés, dont 13 s’appuyant sur des laboratoires rattachés au CNRS et 2 sont coordonnées par des organismes français. Ces 20 projets vont se partager 130 millions d’euros jusqu’en 2021 (jusqu’à 10 millions par projet). Après 2021, 130 autres projets devraient être financés d’après la Commission européenne. Vous pouvez retrouver la liste de ces projets détaillés sur cette page.

Un investissement visant à rattraper notre retard technologique ?

Cette recherche a pour but de combler le retard pris sur les autres pays tels que les USA et la Chine. En effet, les États-Unis sont plutôt avancés en termes de recherche quantique de par les géants du numérique comme IBM (dans le quantique depuis le début), Google ou encore Amazon plus récemment. Peut-être vous souvenez du supercalculteur d’IBM DeepBlue ayant battu d’une facilité déconcertante le champion du monde d’échecs Kasparov. Sa puissance de calcul phénoménal a permis à la machine de l’emporter facilement sur Kasparov. Et bien c’était en 1997… ce qui laisse imaginer où IBM & Google en sont aujourd’hui en terme de technologies quantiques…

En ce qui concerne la Chine, cette dernière peut se vanter d’avoir mis en orbite le premier satelitte quantique permettant ainsi de prolonger la distance possible des communications quantiques (normalement limité à 300 km maximum). De quoi sérieusement s’interroger sur la place tardive de la France (et de l’UE) face aux grandes avancées quantiques de la Chine et des USA. Ce qui est certain c’est que cette grande course technologique est très certainement la plus stratégique de l’Histoire.

3 thoughts on “Pourquoi l’Europe investit un milliard d’euros dans les technologies quantiques ?

    1. Bonjour Damien,
      Oui Deepblue a bien remporté le match contre Kasparov en mai 1977 à New York. Il fut même renommé « Deeper Blue » pour l’occassion. Aucune erreur de notre côté. Peut-etre faites vous référence au fait que cette victoire a été contestée par Kasparov car l’équipe de programmeurs de Deep Blue avait accès à toutes les parties du joueur humain, tandis que celui-ci n’avait pas eu accès à la liste chronologique des parties jouées par Deep Blue.

  1. L’ordinateur quantique tente de trouver l’ordre des solutions au milieu du chaos des possibilités. Mais s’il règne en maître dans un système indéterministe, il sera battu par un ordinateur intentionnel dans un univers déterministe.
    J’estime que cet univers est déterministe, et dès lors vos logiciels seront battus.

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